Cet article a été publié pour la première fois dans la Revue du droit insolite n°1 : Espace & Droit (Dir. R. Costa et T. Renaudie), Enrick B. Editions, 2021.
Si pour George Eliot « Les étoiles sont le fruit doré d’un arbre hors d’atteinte »[1], pour beaucoup de citadins il est devenu le fruit invisible qui participe à les pousser hors des villes.[2]
Selon les paléoastronomes[3], des créations préhistoriques tels l’os d’aigle de l’Abri Blanchard ou les peintures rupestres de la Grotte de Lascaux pourraient être les plus anciennes cartographies stellaires connues, faisant remonter les premières observations des astres par Cro-Magnon à près de 30 000 ans avant notre ère.
Au XXIème siècle, ce lien indéfectible entre l’Homme et les constellations s’étiole dangereusement puisque près de 80 % de la population mondiale et 99 % des habitants européens et américains sont privés du spectacle de la Voie lactée.[4]
Le fléau porte un nom : la pollution lumineuse. Les voisins des agglomérations connaissent bien cette coupole diaphane dont le halo orangé illumine les soirées. Destiné à la sécurité, l’éclairage public ravit les oiseaux de nuit mais chasse les animaux.[5]
Les scientifiques, pour leur part, subissent également une nuisance plus insidieuse depuis la conquête des orbites, une pollution venue du ciel. Tandis que le passionné peut s’amuser du brillant passage de la station spatiale internationale, les observateurs professionnels déplorent l’arrivée de mégaconstellations dont les traînées éblouissent les télescopes.[6]
Pour retrouver « cette obscure clarté qui tombe des étoiles »[7], astronomes et amateurs du ciel militent depuis les années 1970 pour l’établissement d’un cadre législatif et réglementaire efficace.
Si leur action a connu un certain succès pour lutter contre les pollutions terrestres (I.), il subsiste des difficultés quant aux réponses à apporter aux pollutions d’origines céleste (II.).
I. Le ciel étoilé de mieux en mieux protégé des pollutions terrestres
Au XVIIe siècle, le Roi soleil décide d’illuminer les ruelles de son sombre royaume. Cette prouesse technologique est motivée par une démonstration de pouvoir politique alors que les autres capitales européennes voient leurs nuits raccourcir. Déjà des voix s’étaient levées, le vandalisme en bras armé, contre les réverbères, leur coût démesuré et le partage de l’espace public qu’ils impliquaient[8].
De manière contre intuitive, si les lumières dans la nuit[9] éclairent les obstacles et facilitent une activité nocturne nouvelle, ces phares destinés à la sécurité ont en réalité favorisé la criminalité tant par l’augmentation du nombre de proies qu’en facilitant leur repérage[10].
Ce n’est pourtant pas l’ensemble des prédateurs sauvages qui se félicite de ce nouvel éclairage puisque, dès le XIXe siècle, les naturalistes constatent les conséquences désastreuses du changement de rythme pour la faune. Oiseaux migrateurs, chauves-souris et insectes meurent de ces journées qui n’en finissent plus. Animaux comme végétaux voient leurs cycles perturbés, leur croissance et leur reproduction diminuer[11].
Alors que les astronomes lancent l’alerte dès les années 1970, il faut attendre l’action des associations pour la protection du ciel nocturne au début des années 1990[12] pour que les pouvoirs publics commencent à s’intéresser au sujet. Des législations fleurissent un peu partout en Europe au seuil des années 2000, suivant l’exemple américain avec dix ans de décalage, sans réaction française[13].
I.1. Les conventions internationales, pâle étoile du berger
Nos engagements internationaux auraient pourtant pu motiver une législation précoce puisque, dès 1992, la France signait à Rio de Janeiro la Convention sur la diversité biologique. Par ce traité, la communauté internationale reconnaissait, en l’objectif de préservation de la biodiversité, une préoccupation de l’humanité[14] qui aurait pu encourager la mise en place de trames sombres pour protéger nos amis les bêtes[15].
Quelques années plus tard, le 20 octobre 2000, la France s’engageait par la Convention européenne du paysage[16].à mettre en œuvre des politiques et des moyens d’intervention visant la protection, la gestion et l’aménagement des paysages[17]. Cette signature aurait également pu justifier que l’on cherche à préserver le ciel de Malagar que François Mauriac affectionnait tant, « une arène où les constellations me sont devenues familières et les arbres ne le cachent pas ».[18].
Comme l’indique le géographe[19], on voit cependant mal comment le panorama des constellations aurait pu entrer dans la définition donnée par la Convention, son objet étant « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations »[20]. « La notion de “paysage nocturne” peut ainsi apparaître comme un contresens : ni le ciel étoilé ni les objets et phénomènes célestes (voie lactée, aurores boréales, éclipses, pluies d’étoiles filantes, levers et couchers de soleil, etc.) ne peuvent être considérés comme “une partie de territoire” »[21].
Si des projets de lois avaient vu le jour pour pallier ces carences[22], ils ne passaient pas l’étape de l’ordre du jour, de sorte que « l’arsenal normatif » est longtemps resté « muet sur la question » malgré une « prise de conscience du politique »[23]. Il a ainsi fallu attendre le Grenelle de l’environnement (2007) pour que ce trou noir législatif se trouve partiellement comblé.
I.2. La loi Grenelle II de 2010, comète à la traînée trop courte
« Les émissions de lumière artificielle de nature à présenter des dangers ou à causer un trouble excessif aux personnes, à la faune, à la flore ou aux écosystèmes, entraînant un gaspillage énergétique ou empêchant l’observation du ciel nocturne feront l’objet de mesures de prévention, de suppression ou de limitation. », ainsi se lit l’article 41 de la loi Grenelle I du 3 août 2009[24].
Un an plus tard seulement, la loi Grenelle II[25] a codifié ce principe et son application aux articles L. 583–1 à L. 583–5 du code de l’environnement en prévoyant notamment l’édiction d’un certain nombre de prescriptions techniques par arrêté du Ministre de l’environnement de manière à assurer la conformité des éclairages aux objectifs retenus, sous le contrôle du maire ou du préfet pour les bâtiments communaux. En 2011, un décret[26] est venu désigner les éclairages et les zones concernées par ces restrictions ainsi que les mesures techniques envisageables pour limiter la pollution lumineuse (R. 583–1 à R. 583–7 du code de l’environnement).
Ainsi l’article R. 583–4 du code de l’environnement offre de nombreuses possibilités : « Ces prescriptions peuvent notamment porter sur les niveaux d’éclairement (en lux), l’efficience lumineuse et énergétique des installations (en watts par lux et par mètre carré) et l’efficacité lumineuse des lampes (en lumens par watt), la puissance lumineuse moyenne des installations (flux lumineux total des sources rapporté à la surface destinée à être éclairée, en lumens par mètre carré), les luminances (en candélas par mètre carré), la limitation des éblouissements, la distribution spectrale des émissions lumineuses ainsi que sur les grandeurs caractérisant la distribution spatiale de la lumière ; elles peuvent fixer les modalités de fonctionnement de certaines installations lumineuses en fonction de leur usage et de la zone concernée. »
Alors que cet article ouvrait une voie royale à une lutte concrète contre la pollution lumineuse, l’arrêté portant prescriptions techniques propre à permettre son application est resté lettre morte pendant plus de sept ans. Durant cette période, les lampadaires ont continué de gagner du territoire sur les renards grâce à une technologie bénéficiant du soutien des élus par son efficacité énergétique : les diodes électroluminescentes (LED).
Face à l’urgence, l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturne (ANCPEN), motrice dans le domaine depuis plusieurs décennies, et plusieurs autres requérants, ont entrepris d’obtenir du ministre qu’il prenne les arrêtés nécessaires.
I.3. Un juge éclairé, bonne étoile au secours des nuits noires
En 2016, alors que la loi biodiversité a fait entrer le paysage nocturne au code de l’environnement résolvant par-là l’interrogation précédemment exposée[27], les requérants formulent un recours gracieux auprès du Ministre qui n’y donne pas suite. Disposant ainsi d’une décision implicite de rejet, ils forment contre elle un recours pour excès de pouvoir devant les juridictions administratives. Le 28 mars 2018, le Conseil d’État leur donne raison et condamne l’État à prendre les arrêtés dans un délai de neuf mois sous astreinte de 500 € par jour de retard :
« Sur les conclusions à fin d’annulation pour excès de pouvoir :
3. Considérant que le ministre chargé de l’environnement avait l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les arrêtés mentionnés qui sont, eu égard à leur objet et leur portée, nécessaires à l’application des dispositions législatives et réglementaires rappelées au point précédent ; qu’à ce jour, le ministre chargé de l’environnement a seulement pris, le 25 janvier 2013, un arrêté relatif à l’éclairage nocturne des bâtiments non résidentiels ; que, quelles qu’aient pu être les difficultés rencontrées par l’administration dans l’élaboration des divers autres arrêtés, l’abstention du ministre à les prendre s’est prolongée plus de cinq ans après l’intervention de la loi et de son décret d’application, bien au-delà, par conséquent, d’un délai raisonnable ; que, dans ces conditions, France Nature Environnement et autres sont fondés à demander l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le ministre chargé de l’environnement a refusé de prendre ces arrêtés ;
Sur les conclusions à fin d’injonction et d’astreinte :
4. Considérant que l’annulation de la décision de la décision implicite du ministre chargé de l’environnement implique nécessairement l’édiction des arrêtés nécessaires à l’application des dispositions rappelées au point 2 ; qu’il y a donc lieu, pour le Conseil d’État statuant au contentieux, en application de l’article L. 911–1 du code de justice administrative, d’ordonner cette édiction dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision ; que, compte tenu des circonstances de l’espèce, notamment du retard anormal à prendre ces arrêtés, il y a également lieu, en application de l’article L. 911–3 du code de justice administrative, de prononcer contre l’État, à défaut pour lui de justifier de l’exécution de la présente décision dans un délai de neuf mois à compter de sa notification, une astreinte de 500 euros par jour jusqu’à la date à laquelle cette décision aura reçu exécution ; »[28]
Les arrêtés seront pris en décembre 2018[29].
I.4. Des arrêtés en clair-obscur impropres à assurer les objectifs garantis
Le premier arrêté compte de nouvelles prescriptions notamment l’extinction, à une heure matin, des vitrines et des lumières visant à mettre en valeur le patrimoine ; la réduction de l’intensité de l’éclairage de la voirie, ainsi que l’interdiction d’éclairer en direction du ciel. L’arrêté limite également la lumière bleue nocive en prévoyant une température maximale de couleur favorisant une lumière blanche chaude, moins néfaste pour les cycles biologiques. Enfin, l’arrêté ébauche un principe de limitation de la lumière intrusive : celle qui pénètre les logements privés par les fenêtres, sans toutefois fixer de norme ni d’interdiction claire.
Cet arrêté apporte des avancées notables qu’il convient cependant de relativiser puisqu’hormis les restrictions d’horaires, les prescriptions techniques entrent en vigueur de manière progressive à compter du 1er janvier 2020 afin d’éviter d’assécher les finances des collectivités publiques. Les associations déplorent le manque d’ambition qui conduira à la survie des lampadaires non-conformes déployés ces dernières années pendant encore vingt à trente ans. Toutefois, entreprises du luminaire comme associations saluent l’existence d’un cadre sur lequel discuter[30].
Le deuxième arrêté fixe la liste et le périmètre des sites d’observation astronomique bénéficiant de normes plus strictes propres à assurer le confort des scientifiques et passionnés.
Ainsi épargnés de la pollution venue du sol, aucun texte n’a encore eu l’ambition de protéger les astronomes des lumières venues du ciel, ces étoiles de contrebande qui entendent illuminer la voûte de leurs aveuglants reflets (II.).
II. Le ciel étoilé en proie aux pollutions célestes
Projetez-vous en 2100. Les villes sont propres, les moteurs à explosion sont un lointain souvenir et les réserves de campagne sont accessibles en quelques minutes de vactrain[31]. La nuit est noire, les folies électriques des décennies passées sont aussi lointaines que les néons publicitaires pour les parisiens de 2020[32]. Lorsqu’une faible lumière éclaire le sol, ce n’est que pour accompagner un cycliste ou un piéton qui aura préféré la fraicheur d’une nuit d’été à la visite virtuelle de l’ancien Musée du Louvres, avant que la pyramide ne soit reconvertie en serre urbaine. Arrivé dans la Réserve internationale de ciel étoilé des Cévennes, vous levez la tête pour contempler ce spectacle incroyable : des milliers de points lumineux vadrouillent, zébrant le ciel de leurs trajectoires rectilignes : ballet croisé hypnotique, spectacle grandiose de la folie humaine. Alors que vous vous apprêtez à ouvrir une canette, votre marque de soda favorite traverse le ciel, véritable quatre-par-trois spatial qui nous rappelle à tous quoi et quand boire.
Utopiques ou dystopiques, ces projets n’appartiennent pas à un futur très lointain puisqu’ils sont tous documentés dans notre présent en 2020. La dingue idée d’une deuxième lune a même traversé l’esprit d’un entrepreneur chinois pour faire économiser de l’énergie à la ville de Chengdu[33]. Pour les panneaux publicitaires orbitaux, il s’agit du projet d’une jeune pousse russe[34]. Quant aux satellites qui traversent le ciel précipitamment tels une sympathique cohorte d’Oompa Loompa[35], ils sont déjà en orbite et s’appellent Starlink[36]. Le service Heavens Above permet au curieux comme à l’amateur avisé d’en anticiper le passage prochain au-dessus de son village ou à l’aplomb de son point d’observation[37].
II.1. La menace d’idées trop lumineuses
Hormis la lune chinoise, ces technologies relèvent toutes de la mégaconstellation : un réseau de petits satellites en orbite basse[38] qui n’en est plus au simple stade de projet puisque l’expérimentation a déjà débuté au grand dam des observateurs et des scientifiques. Si l’on comprend aisément l’envie de ne pas voir la publicité envahir le ciel de nos nuits, l’appréhension des critiques scientifiques nécessite quelques développements.
Au cours des dernières décennies, l’observation spatiale du ciel profond s’est considérablement modernisée avec une automatisation toujours croissante. Les méthodes les plus efficaces consistent à effectuer des relevés astronomiques, ou surveys. À cette fin, on pointe les télescopes les plus sensibles vers une coordonnée stellaire qui nous intéresse, puis on capture des images en pause longue de façon très régulière afin d’identifier les différences survenues entre deux clichés : les derniers télescopes[39] permettent d’observer des astres plusieurs centaines de millions de fois moins brillant que ce qui est visible à l’œil nu. Or, même peints en noir par la firme d’Elon Musk, les smallsats Starlink restent très proches de la limite de l’œil humain et donc bien trop lumineux pour les astronomes[40].
Ainsi, pour éviter que leurs clichés ne soient plus longtemps striés de ces barreaux qui coffrent les nébuleuses, les chercheurs réfléchissent aux possibilités d’interdire ces constellations artificielles qu’ils souhaitent voir s’effondrer façon supernova. Spécifiquement, trois astronomes italiens s’érigent contre « la menace d’empêcher l’accès à la pleine connaissance du cosmos et la perte d’une richesse intangible d’une valeur incommensurable pour l’humanité ».[41] Par ailleurs, la multitude de satellites dans l’espace ne soulève pas qu’une question d’éblouissement mais également une question d’encombrement avec le risque que l’accès à l’espace ne soit plus possible à cause de la saturation de l’orbite basse[42].
II.2. Le Traité de l’espace, lueur au firmament
En droit international, les activités spatiales sont gouvernées par le Traité de l’espace adopté en 1967[43] ; soit deux ans après la première sortie extravéhiculaire d’Alexeï Leonov et deux ans avant le premier pas sur la lune de Neil Amstrong. Il convient tout d’abord de préciser qu’au titre de l’article VI de ce traité, les États sont tenus d’en faire respecter les principes par leurs entreprises ressortissantes dont ils doivent autoriser et surveiller les agissements extra-atmosphériques.
Or, les deux premiers articles de ce traité établissent des principes mobilisables à l’encontre des mégaconstellations : le principe de liberté d’accès à l’espace pour l’article premier, et celui de non-appropriation de l’espace pour l’article II.
En l’espèce, en déployant de multiples mégaconstellations dont certaines comprennent plus de vingt fois le nombre de satellites déployés dans toute l’histoire de l’humanité stellaire, le risque d’appropriation des orbites basses se rapproche dangereusement, contrevenant à l’article II.
De même, compte tenu de leur nombre, toujours, mais aussi de l’autonomie relative dont disposent certains de ces satellites dans le choix de leur trajectoire ; le risque de collisions en chaînes causant une irrémédiable pollution de débris spatiaux est non-négligeable[44]. Cette coupole de silicium deviendrait alors une chape de plomb clouant l’humanité en dessous de l’orbite basse dans l’attente que ses éclats daignent retomber brûler dans l’atmosphère. [45]
Enfin, sans passer par le truchement des débris spatiaux, le premier paragraphe de l’article I du Traité pose le principe de l’utilisation de l’espace pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays et le dernier paragraphe celui de la liberté de recherche scientifique dans l’espace extra-atmosphérique. Or, il est contestable que le déploiement de la 6G soit réalisé pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays alors que la pollution lumineuse spatiale des smallsats privera les astronomes du monde entier de l’observation scientifique de l’espace. On voit difficilement comment rajouter des étoiles à la constellation du Petit renard pourrait justifier l’impossibilité d’observer la galaxie des Chiens de chasse.
Nous terminerons l’analyse du Traité par un extrait choisi de l’article IX :
« Tout État partie au Traité ayant lieu de croire qu’une activité ou expérience envisagée par un autre État partie au Traité dans l’espace extra-atmosphérique […] causerait une gêne potentiellement nuisible aux activités poursuivies en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique […] peut demander que des consultations soient ouvertes au sujet de ladite activité ou expérience. »
Difficile de savoir si cette possibilité n’a pas été mobilisée en raison de la difficulté à rattacher l’observation du ciel étoilé à une exploration de l’espace extra-atmosphérique ou par manque de volonté politique des autres États parties.
Quoi qu’il en soit, l’article VI du Traité de l’espace prévoit que les entreprises ne peuvent mener leurs activités spatiales qu’une fois l’autorisation de leur État obtenue. Aux États-Unis, c’est la Commission fédérale des communications ou FCC qui est en charge de l’octroi de ce sésame.
II.3. Le droit environnemental américain au secours des nuits noires
Si le Traité ne fournit pas de remède immédiat à la pollution générée par les mégaconstellations, certains juristes américains estiment qu’une action à l’encontre de l’autorisation de Starlink pourrait prospérer.
La thèse de ces chercheurs[46] réside dans l’inobservation du National Environmental Policy Act (NEPA) de 1970 par la FCC lors de l’autorisation du projet de Space X. Cette loi entrée en vigueur le 1er janvier 1970 impose aux agences fédérales de prendre en compte l’environnement dans tous les projets qu’elles examinent notamment par la réalisation d’études d’impact préalables à la délivrance des autorisations.
Cependant, la FCC bénéficie d’un traitement exceptionnel l’exemptant du devoir de conduire ces études ; exception théoriquement fondée sur l’absence d’impact environnemental des activités qu’elle autorise. Toutefois, selon le chercheur, une telle exclusion catégorielle ne saurait tenir face au nombre de satellites autorisés pour Elon Musk dont on sait qu’ils sont particulièrement lumineux à l’aurore et au crépuscule : caractérisant ainsi leur impact sur l’environnement.
D’après, Sarah Bordelon, avocate américaine spécialisée en droit de l’environnement, le nombre de cas est légion et plusieurs actions menées par les associations sur le fondement d’études d’impact mal réalisées se sont soldées par un succès. Une question conditionnant la réussite d’une action contre l’autorisation de Space X est celle de savoir si le ciel nocturne est bien susceptible de protection au sens du NEPA.
Pour le chercheur, la loi s’appliquant notamment lorsqu’il existe des effets esthétiques, historiques ou culturels directs ou indirects sur l’environnement : elle pourrait trouver à s’appliquer à la nuit étoilée. Un membre d’une ONG dédiée à la protection de l’environnement écrit « The beauty of the night sky [and], for astronomers, the ability to conduct science by doing observations of the night sky are both impacts that would be covered by the statute. So there should be a case there. ».
Si l’action devait prospérer, il n’est pas certain que le tribunal apporte une autre réponse que l’obligation, pour la FCC, de réaliser les études d’impact environnemental à l’avenir. Les années de procédure n’apporteraient donc aucune garantie du retour sur terre de ces cigognes parties vers la lune[47].
En février 2020, l’Union astronomique internationale a saisi le sujet à bras le corps en préparant un rapport à destination de la prochaine réunion du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique rattaché à l’Organisation des Nations-Unies : ses conclusions partielles relatent la nécessité d’encadrer la luminosité des objets artificiels en orbite.[48]
Espérons que la lutte règlementaire contre la pollution lumineuse spatiale sera aussi fructueuse que celle contre la pollution lumineuse terrestre.
[1] G. Eliot, I am lonely, « The stars are golden fruit upon a tree all out of reach. », 1860.
[2] I. Rey-Lefebvre, « Le confinement renforce le désir de campagne des citadins et booste le marché des maisons individuelles », Lemonde.fr, 27 avril 2020.
[3] A. Marshack et C. Jègues-Wolkiewiez.
[4] F. G., « Pollution lumineuse : 80 % de la population mondiale ne voit plus le ciel nocturne », Science-et-vie.com, 27 septembre 2018.
[5] J.-Ph. Siblet, Impact de la pollution lumineuse sur la biodiversité́. Synthèse bibliographique. Rapport MNHN-SPN / MEEDDAT no 8, août 2008, p. 3.
[6] Voir l’entretien de Roland Lehoucq au présent dossier.
[7] P. Corneille, Le Cid, IV, 3, Rodrigue, 1636.
[8] I. Auricoste, J.-F. Landel, M. Simoné, À la reconquête de la nuit. La pollution lumineuse : état des lieux et propositions, Rapport CGEDD, novembre 2018.
[9] France Inter, Edouard Baer.
[10] A. Cabantous, Histoire de la nuit, XVIIe – XVIIIe siècles, cartographie des lieux d’attaque du bandit Cartouche sous les lanternes, 2009.
[11] J.-Ph. Siblet, op. cit., p. 5 — 20.
[12] L’International Dark Sky Association aux États-Unis (IDA), l’Association nationale de protection du ciel nocturne (ANPCN), créée en France en 1998.
[13] A. Meynier, J. Untermaier (dir.), La protection du ciel nocturne, Le droit de l’environnement et la pollution lumineuse, 2007.
[14] Convention sur la diversité biologique, Rio de Janeiro, 5 juin 1992, signée le 13 juin 1992, ratifiée le 1er juillet 1994.
[15] La notion de corridors avait été envisagée dans un projet du texte sans être retenue au profit de la notion plus floue d’aires protégées. Elle a toutefois ressurgit dans les recommandations formulées par la 8e conférence des parties à Curitiba en 2006.
[16] Convention européenne du paysage, Florence, 20 octobre 2000, signée le même jour, ratifiée le 17 mars 2006, entrée en vigueur le 1er juillet 2006.
[17] Ibid., articles 5 et 6.
[18] F. Mauriac, Le bloc-notes 1952–1962, J. Touzot (éd.), 2020, p. 611 « Vémars : pendant la nuit / À Malagar, le ciel nocturne ressemble à une arène où les constellations me sont devenues familières et les arbres ne le cachent pas ; ici, les feuillages épais dévorent un noir abîme sans astres. Je le redoute et je le fuis. ».
[19] S. Challéat, P.-O. Dupuy et D. Lapostolle.
[20] Convention européenne du paysage, article 1, a.
[21] S. Challéat, P.-O. Dupuy et D. Lapostolle, Le paysage nocturne : nouvelle identité visuelle et outil d’action collective pour des territoires de montagne en transitions ?, 2007.
[22] La règlementation de l’Union européenne est également insatisfaisante quant à la pollution lumineuse, les seules prescriptions concernant l’éclairage public visant les économies d’énergie par l’écoconception des luminaires tandis que la pollution lumineuse n’est jamais envisagée qu’à titre indicatif et en annexe. Règlement (UE) 2019/2020 de la commission du 1er octobre 2019 établissant des exigences d’écoconception pour les sources lumineuses et les appareillages de commande séparés et Règlement (CE) No 245⁄2009 de la Commission du 18 mars 2009.
[23] C. Merlin-Merrien, Le ciel, le droit et la pollution lumineuse, RFDAS, 2006.
[24] Loi no 2009–967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.
[25] Loi no 2010–788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.
[26] Décret no 2011–831 du 12 juillet 2011 relatif à la prévention et à la limitation des nuisances lumineuses.
[27] Article 1 de la loi no 2016–1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages modifiant l’article L. 110–1 du code de l’environnement.
[28] Conseil d’État, 6e chambre, 28 mars 2018, no 408974, Inédit au recueil Lebon.
[29] Arrêtés du 27 décembre 2018 relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses et fixant la liste et le périmètre des sites d’observation astronomique exceptionnels en application de l’article R. 583–4 du code de l’environnement.
[30] D. Laperche, « Pollution lumineuse : les deux projets d’arrêtés suscitent des avis contrastés », Actu-Environnement.com, 12 décembre 2018.
[31] Projet de train à très grande vitesse en milieu sous vide artificiel théorisé de manière scientifique en 1904 par Robert Goddard et bientôt déployé sous le nom d’hyperloop.
[32] S. Le Gallic, P. Griset (dir.), Les messages de lumière : la publicité lumineuse à Paris, Londres et New York de la fin XIXe siècle à nos jours, 2014.
[33] « Chine : une ville envisage d’envoyer une lune artificielle dans le ciel », Futura-sciences.com, 19 octobre 2018.
[34] « Une startup veut mettre en orbite des publicités lumineuses géantes », Clubic.com, 14 janvier 2019.
[35] « Des astronomes confondent les satellites Starlink avec des extraterrestres », Huffingtonpost.fr, 22 avril 2020.
[36] Starlink est le projet de réseau internet global satellitaire déployé par Space X, sorte de 6G promettant le haut débit dans le désert et la naissance d’un opérateur couvrant la planète entière.
[37] Heavens-Above.com.
[38] Pour Starlink, les plus bas orbitent au bout d’un Paris-Bordeaux, soit environ 500 km d’altitude tandis que les plus haut gravitent déjà autour du Paris-Madrid, à peu ou prou 1100 km de nous.
[39] N. Lesage, 3,2 milliards de pixels : les premières photos de la caméra de l’observatoire Vera‑C.-Rubin sont incroyables, Numerama.com, 9 septembre 2020.
[40] A. Witze, « SpaceX tests black satellite to reduce ‘megaconstellation’ threat to astronomy », Nature 577, 303, 9 janvier 2020.
[41] S. Gallozzi, M. Scardia, M. Maris, Concerns about ground based astronomical observations: A step to Safeguard the Astronomical Sky, arXiv.org (2001.10952), 4 février 2020.
[42] « connue sous le nom de “syndrome de Kessler”, une réelle possibilité et pourrait créer un scénario astro-apocalyptique dans lequel une collision de satellites crée un effet de cascade provoquant d’autres collisions. La pollution spatiale qui en résulterait pourrait créer un nuage impénétrable de débris spatiaux et, par conséquent, tenir l’humanité en otage sur Terre » S. Adkens, « Des astronomes appellent à une action en justice contre la pollution lumineuse de SpaceX », Droit.developpez.com, 6 février 2020.
[43] Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, signé et entré en vigueur en 1967 pour les États-Unis.
[44] En 2020, la Station spatiale internationale a dû procéder à 3 manœuvres d’évitement et ce nombre devrait augmenter au cours des années à venir. France Info / AFP, La Station spatiale internationale a dû manœuvrer pour éviter une possible collision avec un débris, 23 septembre 2020
[45] F. Mottez, « Starlink, un cauchemar pour les astronomes », Pourlascience.fr, 24 février 2020 ; pour une prise de conscience institutionnelle des enjeux suscités par les débris spatiaux : Space Debris Mitigation Guidelines of the Committee on the Peaceful Uses of Outer Space, Assemblée générale des Nations unies, Résolution 62⁄217 du 22 décembre 2007
[46] J. O’Callaghan, « The FCC’s Approval of SpaceX’s Starlink Mega Constellation May Have Been Unlawful »,Scientificamerican.com, 16 janvier 2020
[47] Au début du XVIIIe siècle, alors que l’on ignorait les destinations hivernales des cigognes et hirondelles, ces dernières étaient réputer se cacher dans la vase tandis que les premières voleraient soixante-jours vers la lune. F. Daugey, S. Thommen, Vögel auf Weltreisen. Jacoby&Stuart, Berlin, 2016, cité dans Hypothèses sur la migration, Recherchecigogne.ch, consulté le 23 septembre 2020
[48] Understanding the Impact of Satellite Constellations on Astronomy, Union astronomique international, 12 février 2020