Synthèse de la Journée scientifique du 28 novembre 2019 organisée par Météo et Climat

« Le Groupe d’ex­perts inter­gou­verne­men­tal sur l’évo­lu­tion du cli­mat (GIEC) a ren­du pub­lic le 8 août 2019 son rap­port spé­cial sur le change­ment cli­ma­tique et les ter­res émergées, con­nu sous le sigle “SRCCL”.

Ces ter­res sur lesquelles nous vivons subis­sent non seule­ment nos inter­ven­tions (agri­cul­ture, éle­vage, déforesta­tion, refor­esta­tion, urban­i­sa­tion) mais égale­ment le réchauf­fe­ment cli­ma­tique et les dif­férentes per­tur­ba­tions qui l’ac­com­pa­g­nent comme l’aug­men­ta­tion de plusieurs événe­ments extrêmes. »

« Météo et Cli­mat a con­sacré sa 12e Journée sci­en­tifique à un décryptage du rap­port spé­cial SRCCL sur le change­ment cli­ma­tique, la déser­ti­fi­ca­tion, la dégra­da­tion des sols, la ges­tion durable des ter­res, la sécu­rité ali­men­taire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosys­tèmes ter­restres, approu­vé lors de la 50e ses­sion plénière du GIEC (Genève, 2–6 août 2019). »

Météo et Climat

Le Dossier remis aux par­tic­i­pants est disponible en ligne.

La journée s’ou­vre par l’in­ter­ven­tion de Jean Jouzel, prési­dent de Météo et Cli­mat, Cli­ma­to­logue et ancien mem­bre du GIEC. Il prend soin de rap­pel­er la délim­i­ta­tion de la journée sci­en­tifique aux élé­ments du Rap­port spé­cial sur les ter­res, l’un des nom­breux rap­ports spé­ci­aux qui ont été pro­duits par le GIEC ces dernières années, le prochain rap­port spé­cial atten­du devant être celui de 2023 sur les villes. Jean-Christophe Cal­vet présen­tera les inter­ven­tions suivantes.

Les con­clu­sions du rap­port en elles-mêmes sont portées par Valérie Mas­son-Del­motte, vice-prési­dente du Groupe I du GIEC trai­tant des aspects sci­en­tifiques du sys­tème cli­ma­tique et de l’évolution du cli­mat, direc­trice de recherch­es au Lab­o­ra­toire des sci­ences du cli­mat et de l’en­vi­ron­nement (CEA-CNRS-UVSQ), et Nathalie de Noblet-Ducoudré, direc­trice de recherch­es au Con­ser­va­toire de l’én­ergie atom­ique (CEA), où elle a la respon­s­abil­ité d’une équipe en sci­ences du cli­mat et de l’en­vi­ron­nement.

Les deux chercheuses rap­pel­lent les méth­odes du GIEC qui ne fait pas de recherch­es nou­velles mais la syn­thèse de rap­ports sci­en­tifiques éprou­vés. Le rap­port est le fruit de ses auteurs aidés de leurs nom­breux con­tribu­teurs et sa solid­ité est le résul­tat du tra­vail de plusieurs cen­taines de sci­en­tifiques relecteurs.

Si une meilleure util­i­sa­tion des ter­res est pré­con­isée par le rap­port comme par­tie de la solu­tion con­tre les effets du change­ment cli­ma­tique, elle n’est pas suff­isante et la réduc­tion de l’u­til­i­sa­tion des éner­gies fos­siles reste un impératif indé­pass­able pour une ges­tion durable des sols.

La dégra­da­tion des sols est con­sti­tuée de plusieurs phénomènes : une éro­sion, une perte de bio­di­ver­sité, une baisse du poten­tiel d’ab­sorp­tion du car­bone par les ter­res (stock car­bones) ain­si qu’une baisse de la pro­duc­tion des sols en biomasse.

L’un des prin­ci­paux fac­teurs de cette dégra­da­tion est le réchauf­fe­ment des ter­res émergées qui est env­i­ron deux fois plus rapi­de que celui de l’ensem­ble du globe, soit +2°C en moyenne au lieu de +1°C en moyenne pour l’ensem­ble du globe en 2018 par rap­port à l’ère préindustrielle.

En ce qui con­cerne la ges­tion durable des sols et son rap­port à l’al­i­men­ta­tion, les sci­en­tifiques rap­pel­lent qu’une par­tie de la solu­tion réside égale­ment dans la réduc­tion de la perte et du gaspillage des pro­duc­tions qui s’établit encore à hau­teur de 25% à 30% des récoltes.

Ain­si les options de réponse con­sis­tent dans la réduc­tion de notre impact sur les ter­res (lim­i­ta­tion de l’oc­cu­pa­tion minérale des sols et de la pro­duc­tion de CO2 notam­ment), la préser­va­tion des stock car­bones et leur restau­ra­tion ; la trans­for­ma­tion du mod­èle de pro­duc­tion en faveur de l’a­gro-écolo­gie, d’une ges­tion durable des stock car­bones et d’un change­ment de choix ali­men­taires en favorisant le cobéné­fice d’un régime sain avec un impact envi­ron­nemen­tal réduit (baisse de la con­som­ma­tion de pro­duits carnés essen­tielle­ment, le régime Veg­an étant de loin le moins impac­tant suivi des régimes com­por­tant moins d’un pro­duit ani­mal par mois.

D’un point de vue juridique, l’ac­cès est mis sur les poten­tial­ités d’un meilleur accès à la pro­priété et d’une poli­tique fon­cière glob­ale­ment plus équitable per­me­t­tant un accès aux femmes paysannes et aux tra­vailleurs du sol eux-mêmes de béné­fici­er des sols. Par ailleurs, la rémunéra­tion des ser­vices écosys­témiques per­me­t­trait une rémunéra­tion des paysans four­nissant des efforts au béné­fice de l’environnement.

Les sci­en­tifiques attirent l’at­ten­tion sur le fait que bas­culer l’ensem­ble de la pro­duc­tion d’én­er­gies à par­tir de car­bu­rants fos­siles vers une pro­duc­tion d’én­er­gies à par­tir de bio­masse (cul­tures de maïs ou colza notam­ment) aurait à terme le même impact que ne rien faire pour chang­er la pro­duc­tion d’én­ergie : la bio­masse n’est pas la panacée et les bioén­er­gies doivent être amenées de manière régulée, sur de faibles par­celles et hors mono-cul­tures afin de pou­voir s’in­té­gr­er à une ges­tion durable des terres.

À la ques­tion d’un audi­teur sur la com­pat­i­bil­ité des accords de libre échange et de la poli­tique agri­cole com­mune (PAC) menée par l’U­nion européenne (UE) avec les accords de Paris, les sci­en­tifiques attes­tent de la néces­sité d’une poli­tique publique claire et ferme accom­pa­g­née d’un cadre régle­men­taire pour accom­pa­g­n­er la tran­si­tion vers une ges­tion durable des sols.

Enfin, le rap­port sur les ter­res est résumé comme la syn­thèse des Con­ven­tion sur la bio­di­ver­sité, Con­ven­tion sur le cli­mat, et Con­ven­tion sur la désertification.

Session 1 : quelles solutions pour réduire l’empreinte climatique et environnementale de nos habitudes alimentaires ?

Cheikh Mbow, pro­fesseur tit­u­laire à l’U­ni­ver­sité de Pre­to­ria, Directeur du cen­tre de recherch­es Future Africa, et codi­recteur de recherch­es au World Agro­forestry Cen­tre inter­vient ensuite en tant que coor­don­na­teur du Chapitre 5 du Rap­port SRCCL sur la sécu­rité ali­men­taire, avec une présen­ta­tion nom­mée “Terre, Assi­ette et Climat”.

Le chercheur se déclarant per­son­nelle­ment con­tre l’aide ali­men­taire, inadap­tée aux cul­tures locales et donc gaspillée, plaide en faveur de l’amélio­ra­tion des sys­tèmes de con­ser­va­tion des cul­tures locales rich­es en fruits et légumes endogènes tels le Baobab. Il plaide en faveur d’une approche holis­tique de l’a­gro­foresterie en favorisant une ges­tion équitable du fonci­er. Le chercheur évoque la néces­sité d’une meilleure infor­ma­tion des agricul­teurs sur les évène­ments météorologiques déter­mi­nant des dates de semis et de récoltes afin de lim­iter les pertes, et une meilleure con­ser­va­tion des récoltes notam­ment par une trans­for­ma­tion des matières pre­mières sur site afin de pal­li­er aux prob­lèmes d’in­fra­struc­ture de stock­age et de trans­port respon­s­ables d’une grande par­tie des pertes des récoltes.

Rejoignant Cheikh Mbow en Table ronde ani­mée par Valéry Laramée de Tan­nen­berg, Chris­tine Aubry, spé­cial­iste en agri­cul­ture urbaine, vient tor­dre le cou aux idées reçues con­cer­nant les fer­mes ver­ti­cales éner­gi­vores et peu renta­bles n’ayant voca­tion à se dévelop­per qu’en aggloméra­tions par­ti­c­ulière­ment dens­es (comme Sin­gapour) ou dans les cli­mats froids et arides (comme au nord du Cana­da) mais n’ayant qu’une util­ité très lim­itée en France ou les ter­res arables sont nom­breuses. En Île-de-France, les prob­lé­ma­tiques sont plus d’un ordre de ges­tion : la région est par exem­ple auto-suff­isante en farine, elle en importe pour­tant 50% en même temps qu’elle en exporte 50%. Sarah Mar­tin, coor­di­na­trice ali­men­ta­tion durable à l’A­gence de l’en­vi­ron­nement et de la maîtrise de l’én­ergie par­ticipe aux débats sur les ques­tions d’él­e­vage durable soulevées par Jean-Bap­tiste Dol­lé, chef du ser­vice envi­ron­nement de l’In­sti­tut de l’él­e­vage par­ti­san de la mise en place d’une moné­tari­sa­tion des com­pen­sa­tion car­bones en per­me­t­tant aux agricul­teurs réduisant leur impact car­bone de ven­dre leurs réduc­tions d’émis­sions aux pol­lueurs et ain­si financer l’ef­fort envi­ron­nemen­tal des exploitants.

Session 2 : événements extrêmes et dégradation des terres

L’après-midi s’ou­vre sur une présen­ta­tion de Wim Thiery, pro­fesseur à l’U­ni­ver­sité libre de Brux­elles où il dirige le groupe BCLIMATE intro­duite par Sylvestre Huet qui voit dans l’é­mo­tion entourant les évène­ments cli­ma­tiques extrêmes l’ex­pres­sion d’une sagesse pop­u­laire. Le pro­fesseur-cli­ma­to­logue expose la récur­rence d’évène­ments extrêmes dans un monde glob­ale­ment plus chaud d’1°C notam­ment les pics canic­u­laires puisque le record de 2003 a été bat­tu en 2018 puis en 2019 avec notam­ment un record absolu de tem­péra­ture en France avec 46°C dans l’Hérault le 28 juin 2019. Le ‘dérè­gle­ment cli­ma­tique’ s’ex­prime égale­ment dans l’aug­men­ta­tion non pas du nom­bre mais de l’in­ten­sité des cyclones ain­si que l’aug­men­ta­tion des pré­cip­i­ta­tions extrêmes. Un graphique présente égale­ment l’al­longe­ment de la durée de la sai­son des incendies dans les forêts tropicales.

Une Table ronde s’in­stalle autour de Wim Thiery avec Jean-Luc Chotte, directeur de recherche à l’In­sti­tut de recherche pour le développe­ment (IRD) qui évoque la baisse de 10% de la pro­duc­tiv­ité pri­maire en rai­son du change­ment cli­ma­tique et les solu­tions diver­si­fiées de la ges­tion du paysage agri­cole. L’ini­tia­tive 4 pour 1000 visant l’aug­men­ta­tion des stock de car­bones lui paraît ambitieuse sans être la solu­tion puisque les sci­en­tifiques craig­nent le pos­si­ble relargage des stocks de car­bones réal­isés en cas de hausse con­tin­ue des tem­péra­tures. Patrice Dumas, chercheur en agronomie (CIRAD) au Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur l’en­vi­ron­nement et le développe­ment (CIRED) évoque la poten­tial­ité d’un rap­port entre les évène­ments cli­ma­tiques extrêmes et les con­flits géopoli­tiques inter­na­tionaux et notam­ment l’hy­pothèse con­tro­ver­sée selon laque­lle les sécher­ess­es excep­tion­nelles en Syrie pour­raient avoir eu une part dans le déclenche­ment de la guerre en Syrie. Par la suite, David Mon­coulon, doc­teur en hydrolo­gie, directeur du départe­ment R&D Mod­éli­sa­tion Cat & Agri­cul­ture de la Caisse Cen­trale de Réas­sur­ance, un réas­sureur pub­lic, évoque la part gran­dis­sante des fac­teurs cli­ma­tiques dans les pertes de ren­de­ment indem­nisées notam­ment en rai­son d’épisodes de gel, sécher­esse ou d’i­non­da­tion plus impor­tants. En pro­je­tant le risque, une aug­men­ta­tion de 40% du risque lié à la plu­viométrie et au ruis­selle­ment est atten­due en 2050 aux côtés d’une aug­men­ta­tion des risques de sécher­esse. Ces résul­tats ont notam­ment été ren­dus pos­si­bles grâce aux travaux de Dorothée Kap­sam­bélis, doc­tor­ante Agro­cam­pus Ouest et Caisse cen­trale de réas­sur­ance, qui a mis au point un indice cor­rélant le cli­mat (sécher­esse et pluie) aux pertes poten­tielles à indemniser.

Session 3 : comment la gestion durable des terres contribue-t-elle à l’atténuation du changement climatique ?

La dernière présen­ta­tion est celle de Jean-François Sous­sana, vice-prési­dent en charge de la poli­tique inter­na­tionale de l’In­ra sur la ges­tion durable des ter­res. Les sci­en­tifiques s’ac­cor­dent sur une respon­s­abil­ité poten­tielle de 21% à 37% des émis­sions de gaz-à-effet-de-serre (GES) incom­bant à l’usage des sols, l’a­gri­cul­ture puis le sys­tème ali­men­taire mon­di­al. La déforesta­tion étant le pre­mier respon­s­able dans la chaîne. En bout de chaîne, les cobéné­fices sont atten­dus d’une tran­si­tion ali­men­taire favorisant san­té et cli­mat, le chercheur rejoignant par là la pre­mière présen­ta­tion de la journée, de même lorsqu’il évo­quera l’im­pact négatif des cul­tures de bio­masse pour la pro­duc­tion d’én­ergie. Si la restau­ra­tion de puits de car­bone et la réduc­tion du CO2 dans l’a­gri­cul­ture sont des objec­tifs à pour­suiv­re, le chercheur soulève toute­fois l’in­con­nue des stocks de car­bones minéraux notam­ment dans les strates de bicar­bon­ate de soude qui seraient sus­cep­ti­bles de relarguer en cas de hausse des températures.

Le rejoignant en Table ronde ani­mée par Marielle Court, Luc Abbadie, pro­fesseur d’é­colo­gie et directeur de l’In­sti­tut de la tran­si­tion envi­ron­nemen­tale à Sor­bonne Uni­ver­sité évoque le car­ac­tère néces­saire­ment défici­taire des puits de car­bone agri­coles dans la mesure où l’on pro­duit des végé­taux à un endroit (car­bone pas­sant du sol aux plantes) pour l’ex­porter à un autre où ils sont con­som­més (car­bone ne retour­nant pas au sol où il est pris). Il évoque égale­ment la dif­férence de rythme, le dés­tock­age étant plus rapi­de que le stock­age. Dans les dernières recherch­es, il relate la cor­réla­tion poten­tielle entre la diver­sité des plantes et celles des microbes peu­plant le sol sur lequel elles poussent, sem­blable à la cor­réla­tion attestée sci­en­tifique­ment de la diver­sité forestière avec la diver­sité du sol, faisant de ce dernier un meilleur stock­age pour le CO2. Par ailleurs, le chercheur rap­pelle l’a­van­tage que présente la bio­di­ver­sité en tant que résilience face à une per­tur­ba­tion du milieu par une espèce invasive.

Bruno Par­men­tier, con­sul­tant et con­férenci­er sur l’a­gri­cul­ture, l’al­i­men­ta­tion et le développe­ment durable, fait une inter­ven­tion remar­quée quant à la néces­sité de recon­sid­ér­er le paysan en tant qu’­ex­péri­men­ta­teur à l’heure de l’An I de l’a­gri­cul­ture. Pour lui, si jusque là la chimie a per­mis de mul­ti­pli­er la pro­duc­tion agri­cole par trois sur 30 ans entre 1960 et 1990 sur la même sur­face, seule l’a­groé­colo­gie per­me­t­tra de résoudre la stag­na­tion voire la régres­sion dont la chimie est aujour­d’hui respon­s­able à force d’avoir asséché les sols. Par ailleurs, l’a­groé­colo­gie lui paraît égale­ment être une néces­sité pour aug­menter la pro­duc­tion là où le monde con­somme de plus en plus de pro­duits laitiers et carnés, néces­si­tant une grande aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion céréal­ière. Il estime que la décou­verte de l’ac­tiv­ité micro­bi­enne des sols, microbes pesant 1200 fois le poids de l’hu­man­ité, est un levi­er majeur pour résoudre les défis à venir, en « pas­sant d’une agri­cul­ture “mal au dos” à une agri­cul­ture prise de tête » pour s’al­li­er avec la nature dans un cer­cle vertueux au lieu de s’en méfi­er. Le con­férenci­er fustige le labour qui détru­it les sols, bien plus que le glyphosate, ce “faux enne­mi”. Il plaide le semis post-récolte et la plan­ta­tion de haies de cou­vert pour enfin appren­dre l’agriculture.

Valérie Maz­za, direc­trice des affaires sci­en­tifiques et de l’in­no­va­tion du groupe Lim­grain, évoque le change­ment qui a déjà com­mencé à s’opér­er chez les agricul­teurs dans leurs méth­odes de tra­vail notam­ment afin de lut­ter con­tre leur pré­car­ité. Les ini­tia­tives sont nom­breuses pour se libér­er des engrais grâce à la végé­ta­tion de cou­vert, les résul­tats sont con­va­in­cants et les expéri­men­ta­tions se dif­fusent à grande échelle. L’ap­proche est sys­témique et reprise avec la recherche de nou­veaux équilibres.

Enfin, Pierre-Marie Aubert, poli­tiste et coor­di­na­teur de l’ini­tia­tive agri­cul­ture européenne à l’In­sti­tut du Développe­ment Durable et des Rela­tions Inter­na­tionales, évoque la néces­sité d’in­ten­si­fi­er les ren­de­ments, dimin­uer les chep­tels bovins en pen­sant bioé­conomie et bio­car­bu­rants. Il rap­pelle toute­fois l’ab­sence de béné­fices du tout bio­masse déjà évo­qué le matin puisque pass­er en tout-bio­car­bu­rant abouti­rait aux mêmes con­séquences que rester en tout-fos­sile à l’échelle plané­taire. La bio­di­ver­sité est un fac­teur de richesse des pro­duc­tions et des ter­res : inverse­ment la sim­pli­fi­ca­tion des écosys­tèmes aboutit à la perte de pollinisa­teurs et la baisse de pro­duc­tiv­ités des sols. De même, arrêter net la chimie aboutit à une perte de la bio­di­ver­sité ain­si con­vien­dra-t-il de main­tenir une végé­ta­tion semi-naturelle avant de dimin­uer les intrants (ajouts chim­iques aux sols) voir de s’en affranchir. Ces solu­tions de com­pro­mis per­me­t­tent le main­tien de l’ex­port tout en aboutis­sant à une réduc­tion des gaz-à-effet-de-serre. Cepen­dant, le poli­tiste déplore que cette posi­tion française favor­able à la tran­si­tion ne soit pas suiv­ie partout en Europe.

Ques­tion­né par Marielle Court quant à la fais­abil­ité d’une révo­lu­tion verte mal­gré les réti­cences du reste de l’U­nion européenne, Jean-François Sous­sana rap­pelle les con­traintes d’un mod­èle dont l’ob­jec­tif prin­ci­pal est la sécu­rité ali­men­taire. L’a­groé­colo­gie per­met un niveau de pro­duc­tion élevé mais la tran­si­tion devra se faire en aidant et inci­tant les agricul­teurs, notam­ment en rémunérant les ser­vices envi­ron­nemen­taux dans le cadre de la PAC. Le chercheur con­vient de la néces­sité d’une volon­té col­lec­tive forte dépas­sant les poli­tiques, les efforts accrus ayant besoin d’ad­hé­sion. Le Green deal porté par la nou­velle prési­dence de la Com­mis­sion européenne con­stitue un espoir.

Marielle Court évoque la pos­si­bil­ité d’une direc­tive sol à l’in­star des direc­tives air et eau déjà passées au niveau européen, Jean-François Sous­sana explique sans ent­hou­si­asme qu’elle est tou­jours en débat après avoir été rejetée par deux fois.

Valérie Maz­za plaide la néces­sité d’aider les agricul­teurs qui ne se sen­tent plus com­pris par la société qui paraît enten­dre leur laiss­er le seul tra­vail et le seul risque puisque c’est le paysan qui risque son salaire à la fin de l’an­née s’il n’a pas réus­si la tran­si­tion. L’in­ter­venante rap­pelle, nuançant les pro­pos de Bruno Par­men­tier, que les agricul­teurs sont for­més à l’a­gronomie et qu’ils dis­posent de pos­si­bil­ités de for­ma­tion sup­plé­men­taire aux cham­bres d’a­gri­cul­ture et que la plu­part d’en­tre eux souhait­ent s’en­gager dans la tran­si­tion : le prob­lème majeur rési­dant bien dans la prise de risque.

Luc Abbadie déplore toute­fois le change­ment trop lent dans la for­ma­tion des agricul­teurs alors qu’une poli­tique ambitieuse est néces­sitée par l’ur­gence. Il plaide en faveur de fer­mes expéri­men­tales en réseau pour démon­tr­er le car­ac­tère fonc­tion­nel des pra­tiques d’a­groé­colo­gie. Il relate qu’en Afrique, dans cer­taines régions aux con­di­tions par­ti­c­ulière­ment arides, les expéri­ences fonc­tion­nent et séduisent les agricul­teurs. Le chercheur rap­pelle, abon­dant dans le sens de Valérie Maz­za, que l’a­groé­colo­gie est con­sti­tuée de tout le savoir écologique qui est bien étudié et doc­u­men­té, la tran­si­tion ne man­quant donc pas de con­nais­sances à appli­quer. Pour lui, le change­ment néces­sité est cul­turel et la dépen­dance, celle du contexte.

Bruno Par­men­tier pro­pose une sim­pli­fi­ca­tion et une essen­tial­i­sa­tion de l’ex­ploita­tion du vivant en arrê­tant d’élever des ani­maux qu’on ne peut pas nour­rir avec des végé­taux locaux (exem­ple du porc français mét­ro­pol­i­tain nour­ri au soja sud-améri­cain) pour lim­iter les empreintes car­bones. Il milite égale­ment en faveur de la néces­sité d’ar­rêter d’in­sul­ter et d’in­fan­tilis­er les agricul­teurs pour leur per­me­t­tre d’ex­péri­menter et dévelop­per un savoir, un état d’e­sprit de toute la société à mod­uler en faveur des aides à la transition.

Valérie Maz­za et Pierre-Marie Aubert s’ac­cor­dent sur la respon­s­abil­ité de l’a­cheteur (agroin­dus­triel prin­ci­pale­ment mais aus­si con­som­ma­teur) dans la chaîne agri­cole : à eux aus­si de favoris­er les pra­tiques et les récoltes envi­ron­nemen­tale­ment respon­s­ables, notam­ment la mise en place de fil­ières de légu­mineuses locales avec un partage équitable de valeur entre acteurs de la chaîne pour les régions où seules ces plantes, peu demandées, poussent cor­recte­ment sans chimie.

Un audi­teur agricul­teur inter­vient en pointant la respon­s­abil­ité de l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce et de ses accords qui ne per­me­t­tent plus à la France d’in­ter­dire la plan­ta­tion de soja sur son sol quand bien même ces cul­tures ne sont pas idéales pour l’en­vi­ron­nement. Il témoigne du change­ment qui s’opère chez les agricul­teurs, beau­coup util­isant déjà le cou­vert végé­tal, et tous soucieux de chang­er à la faveur d’une écolo­gie des sols mais il pointe la néces­sité d’aider les agricul­teurs car la mou­vance du vivant des sols implique des risques chaque année pour réalis­er de bonnes récoltes et donc la poten­tial­ité de pertes. Il pointe égale­ment la respon­s­abil­ité des acheteurs notam­ment agroin­dus­triels en plaidant anec­do­tique­ment en faveur de la patate moche pour les frites surgelées.

Une inter­venante du Min­istère de l’a­gri­cul­ture souhaite ren­dre jus­tice aux lycées agri­coles qui mili­tent en faveur d’une agri­cul­ture respectueuse par des expéri­men­ta­tions soutenues depuis plusieurs années. Une lai­terie autonome existe déjà et des ventes directes de pro­duits trans­for­més par des pro­duc­teurs de légu­mineuses présen­tant des béné­fices impor­tants. Elle rap­pelle égale­ment que le ser­vice restau­ra­tion améliore les menus en favorisant les pro­téines végétales.

Enfin, un audi­teur fait un par­al­lèle avec le cir­cuit du tré­sor de l’après-guerre pour appuy­er la néces­sité de sub­ven­tions au béné­fice des agricul­teurs en tran­si­tion, argent qui pour­rait provenir du reroutage des finance­ments de la dette auprès de fonds de pen­sion quataris.

En con­clu­sion, Emmanuelle Coc­cia, philosophe for­mé en agronomie et maître de con­férence à l’É­cole des hautes études en sci­ences sociales à Paris et con­seiller sci­en­tifique de l’ex­po­si­tion Nous les Arbres, emmène la salle à la décou­verte de l’u­nité du vivant entre la Terre et la biosphère par la métaphore du papil­lon qui partage une seule et même vie avec la che­nille qu’il était sans pour­tant n’avoir rien en com­mun avec elle. L’acte de manger sym­bol­isant à ses yeux la meilleure manière de réalis­er que la vie se trans­met de végé­tal en ani­mal, puis d’an­i­mal en ani­mal. Enfin, par l’évo­lu­tion et le bras­sage géné­tique il fait pren­dre con­science aux audi­teurs de leur nature intrin­sèque de zoo-sur-pattes, la bio­di­ver­sité coulant en eux, dans leurs gènes et leurs car­ac­tères phéno­typ­iques. Enfin le philosophe s’in­surge con­tre les villes, ce délire minéral, déser­tique et mono­cul­turel, visant à chas­s­er l’altérité en réser­vant l’e­space aux humains et à leurs pas­sagers clan­des­tins (rats et pigeons). L’a­gri­cul­ture est fon­da­men­tale­ment liée à la ville, la ville doit chang­er pour que les agri­cul­tures changent.

Rapport de faute d’orthographe

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